La coccinelle s’envole
À l’heure où je t’écris, tu n’es pas encore née.
Mais comme pour sortir, tu montres quelques signes,
Je compose dare-dare, pour toi, ces quelques lignes.
Au jour de ta naissance, je veux que tout soit prêt.
Un soir de novembre ; une réunion de famille ;
Ta mère a tricoté pour chacun un chausson.
Nous ouvrons les paquets, et puis nous comprenons.
L’émotion nous submerge, tandis que nos yeux brillent.
La nouvelle se propage, et j’ai même entendu
Les hurlements de joie et les cris d’allégresse
D’une famille survoltée, transportée par la liesse,
À l’annonce soudaine de ta prochaine venue.
Tes parents, pour l’instant, t’appellent Coccinelle,
Nom de code pour ne pas révéler ton prénom.
Mais c’est si naturel, si joli, si mignon
Qu’il restera après, provisoire éternel.
S’écoulent ces longs mois d’une douce grossesse
Où ta présence n’est, pour moi, que théorique.
Kilogrammes, centimètres, clichés échographiques,
Nous guettons de la main les sauts de la princesse.
Jusqu’au week-end dernier où, pour faire la « fofolle »,
Tu fais un tour complet, comme un salto arrière,
Comme… par le passé, où je revois ta mère
Danser, virevolter, faisant des cabrioles.
Alors là, je comprends que tu existes vraiment,
Et pour nous le montrer, tu t’es manifestée.
Les stigmates du terme sont maintenant bien marqués
Dans les yeux fatigués de ta douce maman.
Et voilà, tu es là, maintenant dans ton berceau.
Nous sommes venus de loin découvrir ta frimousse.
Je voudrais prononcer des mots originaux
Que personne n’a dits, ni que le temps n’émousse.
Avec ta grand-mère, nous sommes comme des enfants
Comblés, émerveillés de ce cadeau du ciel
Qu’un Père Noël d’été aurait incidemment
Jeté sur notre vie pour la rendre éternelle.
Je te prie par avance de vouloir m’excuser
De te livrer un monde dans un si triste état.
À part dans quelques livres, je n’ai pas dénoncé
Les dérives financières, le désordre du climat.
Mais je suis sûr que toi, ce monde, tu vas le changer,
Qu’avec tes frères et sœurs, ou encore tes cousins,
Tu trouveras le moyen de le réenchanter,
De lui donner un sens, un projet, un destin.
Tu seras politique, et tu sauveras la Terre !
Ou bien une physicienne qui comprend l’Univers !
Tu seras un médecin, et guériras le cancer !
Ou enfin écrivaine, auteure de best-sellers !
Peut-être ne seras-tu rien de tout cela ?
Mais je sais au fond de moi que tu seras heureuse,
Tu t’occuperas des autres, tu seras courageuse.
Et c’est sur ces valeurs que tu te construiras.
Je ne veux pas me mêler de ton éducation,
Mais je souhaite tout de même t’enseigner quelques trucs,
Des beautés de la vie te faire gouter le suc,
Pour que tu puisses l’aimer avec plus de passion.
Je voudrais t’expliquer les richesses de la Science
Qui n’asservit pas l’Homme mais le grandit plutôt.
J’aimerais te faire lire un poème de Rimbaud,
Dont les mots te transportent au-delà de la conscience.
Je t’emmènerai capter, te tenant par la main,
Les impressions subtiles d’un tableau de Monet.
Et tu découvriras qu’ensemble on peut pleurer
De la délicatesse d’un nocturne de Chopin.
Aux joies de l’écriture, j’aimerais t’initier,
Te montrer que la langue est comme un bel outil
Qui taille et qui façonne un bois précieux des îles,
Et qu’il est si plaisant de soi-même le sculpter.
Voilà ma Coccinelle, ce que je veux te dire.
Comme à mon habitude, je n’ai pas su faire court.
J’aimerais que plus tard tu puisses lire ce discours :
Ce sont les mots du cœur pour venir t’accueillir.
Ah oui ! Encore une chose, avant que d’oublier.
Je serai très discret, mais je veillerai sur toi.
Je ne sais pas comment, ni même de quel endroit,
Mais… tu pourras compter sur l’amour de Pépé.